[RPG] Règlement de comptes

La Lune venait à peine de faire son apparition lorsque Kenja aperçut les premières lueurs de Siniwo. La ville n'avait en elle rien d'accueillant, du genre à décourager ceux qui s'aventuraient dans le désert de continuer leur périple. De loin, on pouvait penser qu'il n'y avait pas âme qui vive en un tel endroit.

Kenja épongea son front: la fatigue commençait sérieusement à se faire sentir. Près d'elle, un crotale émit un sifflement de mépris avant d'essayer de se terrer derrière un rocher rougeoyant. La jeune fille, exaspérée, dégaina son poignard sans un regard pour sa cible, continuant à fixer l'horizon. Un couinement aigu l'informa qu'elle avait visé juste. Pas étonnant, elle avait toujours été très précise. Même les yeux fermés.
Ramassant son arme en l'extrayant du sable, elle la replaça à sa ceinture de cuir et continua sa route. Cette fois ci, elle n'allait pas se laisser interrompre avant d'avoir atteint son but.

Elle pénétra dans la large rue qui servait d'artère à Siniwo. Elle ne s'était pas trompée: il n'y avait personne dehors en ce soir d'hiver. Une vraie ville fantôme, comme on en voit dans les westerns. Avec les lampadaires en plus.
Ses talons faisaient crisser les quelques grains de sable pris au piège sur le béton.
Un bruit - on ne pouvait désigner cela par "musique" - parvint pourtant à ses oreilles. Elle se dirigea vers la source de la mélodie, et parvint près d'un établissement sur la façade duquel se balançait une pancarte grinçante sur laquelle on pouvait lire: "La Taverne du Cent-Tête".

* Quel nom étrange. Ca a l'air tout délabré ... Mais ca fera l'affaire pour l'instant, de toute facon je n'ai pas le choix. Il n'y a rien d'autre dans ce coin paumé. *

Elle poussa la lourde porte et déboucha dans une salle animée. Ca et là, des groupes d'hommes étaient en pleine beuverie. Malgré tout, ils tournèrent presque tous la tête à son arrivée. Exaspérant.
Elle se présenta au comptoir, n'adressant aucun regard aux alentours. Le barman, un homme bedonnant aux cheveux gras là où son crâne n'était pas atteint de calvitie, vint prendre sa commande.

Un autre homme, qui apparement l'observait depuis suffisament longtemps, vint l'aborder.

- Bonsoir, demoiselle.
- Bonsoir. répondit-elle froidement.
- Vous êtes chasseur de primes?
- Qu'est ce qui vous fait dire ca?
- En général, les étrangers qui viennent dans ce bled paumé sont tous là pour ca. Et puis, vous avez bien le genre.
- Je cherche des informations sur un homme nommé Lozwick. Le reste ne vous regarde pas.
- Lozwick? Drôle de nom ... Jamais entendu parler.
- Alors, vous ne me serez d'aucune utilité.

L'homme changea radicalement d'attitude envers elle.
Sortant sa main droite de sa poche, il l'avança vers la poitrine de la jeune femme.

- Ne dites pas cela, je pourrais me rendre utile pour bien d'autres choses ... Savez vous que nous n'avons pas vu d'aussi jolie poupée par ici depuis bien longt ... WAAAAAAAAAARG!


Il n'avait pas eu le temps de voir Kenja dégainer sa lame pour trancher cette main un peu trop baladeuse à son goût. Et aujourd'hui encore, ce pauvre malheureux se souvient de la lueur mauvaise qui avait traversé ces yeux. Un éclair de sadisme et de joie qui l'avait fait frémir d'horreur. Cette minette était complètement folle.
Elle était même allée jusqu'à lécher le fer ensanglanté avant de le redéposer dans son fourreau. C'est la dernière vision claire qu'il avait eue; il s'était enfuit en hurlant la seconde d'après.
Dans la Taverne, tous le monde s'était tu. Ils n'osaient même plus lever leurs yeux vers Kenja, qui savourait à présent sa tranquillité retrouvée.
Le barman tremblant lui apporta sa vodka orange et se dirigea discrètement vers le téléphone.

- Inutile d'appeler les Sentinels. Ils mettraient trop de temps à arriver et vous seriez déjà mort. Si vous ne m'énervez pas, je vous promets de ne pas vous tuer.

Obéissant, il s'affaira à toute autre chose.
Les habitants de cette ville étaient vraiment exécrables. Serait-ce ici qu'elle trouverait des informations sur l'homme qui lui avait enlevé sa soeur?

Au dehors le vent sifflait avec force à présent, annonçant le passage d'une tempête comme il en venait souvent par ici. Le vrombissement d'une grosse cylindrée se fit entendre dans le brouillards des sons de l'extérieur avant de disparaître subitement, quelques instants plus tard un homme de grande taille pénétra soudainement dans la taverne, entièrement vêtu de cuir il portait sur lui l'épaisse couche de poussière des longs voyages. Une longue épée était attachée dans son dos à peine dissimulé de face par de longs cheveux noirs lâchés nonchalamment sur les puissantes épaules du guerrier au regard d'ombre. Son visage était creusé de longues balafres et reflétait si bien la fatigue qu'on aurait presque pu croire qu'il était endormi si son regard n'avait été aussi pénétrant.

Il fit quelques pas sonores dans la pièce ou seuls quelques murmures s'élevaient. Des barbares... Il n'y avait qu'un tas de brutes par ici, des boeufs sans cervelle. Peu importait après tout, il lui fallait s'arrêter, rouler de nuit avec un tel vent n'était pas de bon augure.

Il s'avança finalement vers le comptoir et posa une question à voix basse au barman, ce dernier sembla tout d'abords nier sa mémoire ce qui irrita le voyageur qui, l'attrapant par le col, le plaqua contre son bar avant de murmurer quelques mots sympathiques à son oreille. Le type acquiesça avant de répondre entre de hoquets étouffés.

Khan rompit son échange à voix basses avec l'homme et le laissa libre de ses mouvements.

"Donne moi une bouteille de vodka et un verre. Fermée la bouteille."

Le vieux bougre encore un peu secoué s'exécuta prestement. Le nettoyeur se servit une dose légère du liquide et l'avala cul sec, effectuent une légère grimace sous l'effet de l'amertume du produit. Il tourna la tête sur sa droite, avisant une jeune femme apparemment seule. Elle n'était pas du coin, c'est ce qui l'avait choqué la première fois qu'il l'avait aperçu à son entrée. Elle n'avait rien d'une sentinelle mais il se risqua tout de même à l'interroger.

"Vous n'avez pas vraiment l'air d'être du coin... Vous voyagez dans un but précis ou c'est le goût de l'aventure qui vous fit quitter vos origines ?"

Sa voix grave et rauque résonnait tels les échos d'un autre monde perdu dans des abysses de haine et de souffrance. Mais l'ont pouvait aussi y déceler une pointe de douceur semblable au mouchoir de soie qui enveloppe la dague empoisonnée. Il n'inspirait ni confiance, ni méfiance, juste une sorte de ressentiment, comme c-il s'agissait d'un animal sauvage perdu dans un milieu hostile et peu reniflable.

La voix de l'homme à sa droite interrompit le cours de ses pensées. Décidément, ce soir, les gêneurs étaient de sortie ...
Kenja tourna son regard hautain vers son interlocuteur. Après une rapide analyse, elle en déduisit qu'il n'avait pas assisté à la scène précédente. Sans quoi il ne serait pas venu lui parler de cette manière. Le bruit de porte qu'avait capté son ouïe attentive quelques minutes auparavant devait lui être du.
Elle n'avait aucune envie de lui répondre. Si lui aussi commençait à l'énerver, elle aurait pu encore devenir violente. Et aurait fini par vraiment se faire repérer. Or, ce n'était pas la peine d'en faire trop.
D'un ton sec et cassant, elle répliqua sans tourner la tête:

- Non, je ne suis pas d'ici. Je ne suis de nulle part et vagabonde à la recherche d'une information précise. Peut être le hasard veut-il que vous jouiez un rôle dans ma quête, qui sait?

Elle consentit finalement à regarder l'homme en face. Il ressemblait presque à un mort vivant endormi tant son visage était ravagé et grêlé.

- Je suis sur la piste d'un homme nommé Lozwick. En avez-vous entendu parler? Apparement, c'est un parfait inconnu ici ... Je crois bien que j'y perds mon temps. En plus, les autochtones sont d'une indélicatesse flagrante ...

Khan détourna son regard de la jeune femme, il n'aimait pas observer les gens dans les yeux. Il se resservit en vodka écoutant la réponse crachée de son interlocutrice.

"Jamais entendu parler Lozwick, mais je viens de la capitale et on peu pas dire que je sois particulièrement sociale. Pour ce qui est des autochtones on peu pas attendre grand chose d'un tas de bouseux plus rébarbatifs que du bétail crevé."

Il lança un regard sur les alentours pour vérifier que personne n'avait une mauvaise idée en tête. Il avala un nouveau verre du liquide translucide et tendit l'oreille au cas ou...

"Désolé de vous avoir dérangé, mais votre incongruité face à l'endroit me laissait supposer un risque potentiel mais de toute évidence ce n'est que le hasard qui vous fit arriver jusqu'ici."

Il quitta le gant qu'il portait sur sa main gauche et fit jouer les doigts mécaniques de son bras artificiel.

- Le hasard de la course ...

Cette ville commençait sérieusement à agacer Kenja. Peut être valait-il mieux quitter cet endroit crasseux pour se diriger vers quelque chose qui ressemblait à un hôtel. Et peut être, si elle passait devant la mairie y aurait-il encore un employé assis derrière le comptoir, prêt à répondre à ses questions.

- Je ne compte pas rester dans cette taverne une minute de plus. Les vapeurs d'alcool commencent à me donner la nausée, tout comme ces sales gueules qui nous entourent. A bientôt.

Elle se dirigea vers la sortie, mais parut se raviser: un homme avec un bras mécanique, ce n'était pas anodin. Il serait judicieux de se souvenir de lui, au cas où ...
Elle se retourna une dernière fois vers lui, faisant voleter ses cheveux bruns:

- Au fait, quel est votre nom?

L'homme ne semblait plus vraiment faire attention à la jeune femme, il c'était déjà resservit un verre de vodka et était sur le point de le boire lorsqu'elle lui posa une question depuis l'entrée. Ses lèvres restèrent aux abords du verre pendant un instant puis il laissa échapper un mot.

"Nottingham..."

Le liquide se déversa prestement brûlant sa gorge et il fit un demi tour subite pour le lancer d'un geste nonchalant mais rapide dans la direction d'un homme assit à une table un peu plus loin. Le type reçu le verre en plein visage et s'écrasa au sol avec sa chaise, il tenait mollement une arme à feu dans sa main droite.

Pendant un instant le temps se suspendit puis le calme revenant alors que le type se relevait en rangeant son flingue Khan se retourna avec un regard mauvais, tout signe de fatigue disparut de son visage scarifié et soudain plus terrifiant que mystérieux. Il prit une dernière gorgée à la bouteille puis déposa de quoi la payer sur le comptoir. Gardant la bouteille en main, à moitié vide, il prit la direction de la porte d'un pas lourd trompeur. D'un simple geste presque imperceptible la bouteille fut projetée en direction de l'homme au visage immaculé de sang qui la reçu en plein crâne et s'écroula sur la table qu'il occupait quelques instants plus tôt.

Arrivant à hauteur de la porte il fit un geste de la main en direction de celle-ci mais à l'intention de Kenja.

"Plus par méfiance que galanterie. J'estime que j'ai moins à craindre avec cette racaille immonde dans mon dos plutôt qu'avec vous hors de mon champ de vision."

Il la laissa prendre de l'avance en surveillant du coin de l'oeil l'assemblée puis passa derrière elle sortant à l'extérieur ou la tempête se calmait petit à petit. Il mit son foulard sur son visage et referma son blouson en cuir avant de s'approcher de sa moto.

"Faut que je trouve un endroit ou crécher, je ne peu pas rouler avec cette purée de poids ambulante."

Il mit d'épaisses lunettes de moto et enfourcha sa Suzuki.

"Je suppose qu'on se reverra en enfer, le plus tard sera le mieux."

Il mit en marche le moteur et fit gronder la redoutable cylindrée avant de mettre les gaz et de filer en direction du centre ville à la recherche d'un hôtel.

Kenja avait suivi la scène, passive mais ne perdant rien du spectacle. Elle avait même cru éprouver de l'admiration, sentiment qu'elle avait tout de suite chassé d'un revers de la main.
Puis, Nottingham était sorti à son tour, enfourchant une grosse moto, et avait fini par s'éloigner vers le centre ville.

- Nottingham, hein ... J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ce nom.

Qu'importe. Au moins il avait eu de la considération pour elle. Et ne l'avait pas prise pour une poupée parmi tant d'autres ... Elle savourait lorsque les gens se méfiaient d'elle ainsi. Cela lui procurait un sentiment de supériorité extrêmement agréable.

- Et bien, à bientôt peut être, monsieur Nottingham ...

Maintenant, elle ne devait plus s'attarder. Se préparant à errer à nouveau dans les rues désertes, elle se détourna de la taverne et prit la direction opposée à celle qu'avait prise la moto.[/i]